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Mois : septembre 2012 (Page 2 sur 2)

L’autel des morts

Dans cette nouvelle de Henry James, qui a inspiré à François Truffaut son film La Chambre verte, le personnage principal voue une fidélité absolue aux êtres disparus, et qui lui fait préférer la compagnie des morts à celle des vivants. Dans La Chambre verte, Julien Davenne en vient même à avoir une altercation avec un prêtre, qui tente de consoler un veuf par la promesse de retrouvailles post-mortem avec son épouse :

« Tout ce que l’on vous demande, c’est de dire « Lève-toi et marche » (…) Si vous êtes incapable de faire cela, vous n’avez rien à faire ici » (Je cite de mémoire).

Julien Davenne est l’incarnation jusqu’à l’excès de cette phrase de Cocteau, que j’affectionne tout particulièrement : « Le vrai tombeau des morts, c’est le coeur des vivants. » Il est aussi le personnage d’une obsession : il aime les morts contre les vivants, la mort contre la vie, et il s’enferme dans cette obsession avec intransigeance, sans aucune indulgence pour le monde extérieur. De sa femme disparue, dans la chambre verte de sa maison, il conserve tout : vêtements, bijoux, photographies, tout ce qui lui permet d’assouvir son fétichisme.

Julien Davenne est un personnage d’une mélancolie d’un autre temps. Il incarne pour moi tout cet aspect du deuil impossible, du « passé qui ne passe pas ». Il ne devrait être qu’une humeur, qu’un état d’esprit passager dans le difficile travail de deuil, mais lui, extrémiste, rend cet état d’esprit systématique, et refuse toute consolation.

Pourquoi je parle de La chambre verte et de Julien Davenne ? Pas seulement parce que, pour ceux qui me connaissent bien, François Truffaut est l’une de mes références de prédilection. Mais aussi parce que j’en suis venue à me demander ce qui constituait la mémoire et les souvenirs d’un être cher disparu :

D’un seul coup, c’est comme si le monde entier retentissait d’échos en échos de la voix de l’être cher. Les souvenirs reviennent en masse, les objets, les lieux et les jours prennent une tout autre dimension, le passé est « recomposé ». C’est l’expérience tangible, que l’on fait, de ce que raconte Proust dans Albertine disparue. C’est à cet instant que la voie « Davenne » est tentante.

Et puis, à côté de tout ce qui est tangible, de tout ce qui est matériel ou impalpable dans la mémoire, il y a désormais tout ce qui est immatériel, tout cet espace numérique fait de liens, de messages, de « J’aime » et de « Suggestion d’amis ». Tout ce qu’évoque Olivier Ertzscheid dans son article « La Mort numérique ». Il y évoque bien-sûr tout ce qui disparaît comme données commerciales, toutes les activités culturelles de la personne. Mais il y rappelle aussi toute cette part d’identité numérique qui reste en suspens.

Sur Facebook, on a certes la possibilité de transformer le compte de la personne en mémorial, mais cette procédure requiert des démarches qui sont déjà lourdes pour des institutions « physiques » (impôts, sécurité sociale, banques), comment consentir, alors, à faire les mêmes démarches, en plus absurdes – voir cet article du Point – pour cet intangible numérique ?

Facebook va-t-il faire partie d’une nouvelle mythologie, lui qui a déjà pour certains des allures de divinité ? Va-t-il faciliter ce travail de deuil ou enfermer dans un espace virtuel les reliques des internautes inconsolables ? A quoi ressemblera-t-il dans cinquante ans, dans cent ans ? A un cimetière, à une pouponnière ou à une maison abandonnée ?

« Dans un incendie, entre un Rembrandt et un chat, je sauverais le chat. » Giacometti

Les restrictions nécessaires

Question : Quel est le comble pour une internetophile ?

(Il faut comprendre, dans ce terme pour le moins barbare et plus ou moins valise, qu’il s’agit d’une personne qui utilise quotidiennement Internet, aussi bien dans un cadre professionnel que personnel, qui laisse des traces numériques visibles et qui n’est pas réfractaire, loin de là, à l’usage pédagogique d’Internet et de ses multiples outils)

Réponse : C’est de devoir, pour des raisons pratiques et de santé mentale, restreindre l’accès de ces chers petits digital natives qui forment son public.

Utiliser Internet dans le cadre de pratiques pédagogiques, c’est désormais recommandé, voire même nécessaire, lorsque l’on ne veut pas se déconnecter – c’est le cas de le dire – des usages des élèves. Et lorsque l’on se déconnecte de leurs pratiques, on est entraîné dans un cycle infernal qui, selon moi, nous conduit de l’incompréhension à la désaffection et de la désaffection à l’amertume. La question se pose cependant dans le cadre d’un usage libre d’Internet pour des élèves de collège.

Mon prédécesseur observait des règles très strictes concernant l’utilisation des ordinateurs au CDI. La première semaine, j’ai voulu tenter l’expérience d’autoriser Internet pour deux usages :

  • les recherches demandées par les enseignants des autres disciplines – cela incluant, malheureusement pour mon imprimante, les immanquables recherches d’images pour décorer les premières pages de cahier ;
  • les jeux éducatifs, bien que j’ai dû sur le tas trouver des sites adéquats pour les matières scientifiques.

Malgré ces restrictions, qui m’ont épargné les questions habituelles du type : « On peut aller sur Facebook ? », j’ai été confrontée à deux problèmes : le temps limite de consultation et le comportement appelé communément « je-vais-profiter-que-la-dame-a-le-dos-tourné-pour-jouer-à-Angry-Birds« , et que j’appellerais « l’extension du domaine de recherche ». Pour le premier problème, je me suis souvenu que dans certaines bibliothèques, les ordinateurs s’éteignent automatiquement au bout d’un certain temps d’utilisation. Pour le second, une extinction manuelle et immédiate de l’ordinateur incriminé est requise, en l’absence de logiciel de surveillance (type ITALC), qui, tel l’oeil de Moscou, coupe court aux vagabondages numériques.

La solution que j’ai finalement choisie s’élabore au fil du temps. Primo, je restreins l’accès aux jeux éducatifs aux semaines avant et après les vacances. Secundo, je prévois d’amener un compte-minute pour effectuer un roulement entre les chanceux qui font des maths sur l’ordi et les envieux qui salivent sur les chaises en attendant. Tertio, pour les recherches, en attendant mieux, je propose en priorité un livre. Si je n’ai pas de ressources sur le sujet, j’autorise la recherche en ligne.

Ai-je freiné une addiction ? Ai-je créé un manque ? Je prive les élèves d’un outil dont j’aurais moi-même du mal à me passer : je consulte régulièrement mes mails, j’essaye de me tenir informée de l’actualité en général et de celle de ma profession, quand on me parle d’un sujet, je ne résiste pas à l’envie d’en savoir plus, et je pousse même le vice jusqu’à écrire sur ces pratiques. Si je lis cet article paru sur Internet Actu et le rapport vers lequel il renvoie (en anglais) :

Associating Depressive Symptoms in College Students with Internet Usage Using Real Internet Data

dois-je me faire des cheveux blancs, m’inquiéter pour ma santé mentale, ou tout simplement assumer ?

Restreindre l’accès à Internet est pour moi tout sauf une solution idéale, mais avant de le rendre à nouveau accessible aux élèves, j’ai besoin de cadrer cet accès à la fois par des apprentissages – une progression à l’année dans des connaissances et des compétences info-documentaires – et par des pratiques numériques qui ne sont pas encore clairement établies : communication interne et externe systématique, veille professionnelle, mise en place d’outils numériques à destination des élèves.

Patience et longueur de temps…

Courir après le temps

Depuis la rentrée, je suis affectée dans un petit collège de l’Essonne, ce qui change du tout au tout avec le poste que j’occupais l’année dernière (voir mon précédent article à ce sujet). Ce n’est pas seulement un changement de lieu, ce serait trop simple. Il s’agit également d’un changement de public et de posture.

Ce qui frappe surtout lorsque l’on rentre dans un CDI de collège – enfin, généralement – ce sont les couleurs. C’est dans ce cadre là, qui est à la fois un refuge, un lieu de vie et une salle de classe pas tout à fait comme les autres, qu’il faut rendre le savoir attrayant et forger des personnalités de lecteurs et, selon le terme cher à un collègue, d’infolettrés. Les couleurs sont primordiales, elles donnent envie, elles attirent le regard, elles font sourire. J’aime particulièrement les étiquettes de couleurs qui distinguent les livres sur la religion de ceux sur les sciences sociales, les sciences pures, les techniques ou encore l’histoire géo. J’aime les ronds rouges qui égayent les murs du CDI, le rendent vivant et chaleureux.

Bien-sûr, ce qui frappe aussi, c’est qu’il faut adapter son langage à des élèves plus jeunes. J’avais déjà été confrontée à cette situation l’année dernière. Chaque notion à transmettre doit être réévaluée et simplifiée, puis fondue dans une forme propre à éveiller la curiosité et l’intérêt. En lycée, pour présenter le CDI, on part du principe que les élèves sont déjà familiers du concept – ce qui n’est pourtant pas toujours le cas. On surestime leur capacité de « butinage ». Au collège, le concept est inconnu ou presque. Les plus chanceux ont bénéficié d’une visite du collège et du CDI avec leur classe de CM2. Voilà ce que j’ai donc élaboré pour les élèves de sixième :

Je découvre le CDI

Enfin, ce qui découle directement de ce nouveau public et de cette nouvelle posture, c’est le manque crucial de temps pour prendre du recul. Durant la journée, toute l’énergie est consacrée à l’accueil et à la gestion du groupe, à l’action immédiate. Lorsque l’on peut, à côté, se consacrer à autre chose, c’est pour s’appliquer aux tâches les moins « prenantes » intellectuellement : couvrir des livres, ouvrir le courrier, bulletiner des périodiques, à la rigueur répondre à des mails.

Toute l’action différée, tout ce qui se construit sur un plus ou moins long terme, elle se fera à des moments perdus, tôt le matin ou en fin de journée, ou quand les élèves auront déserté le CDI : commandes, veille documentaire, élaboration de projets, réflexion sur son action, quand on aura du moins le courage de s’y consacrer…

Echappées radiophoniques

Durant cet été, j’ai pu me promener au détour des canaux de Bruges et des ruelles de Bruxelles, j’ai pu poursuivre des bulles de bandes dessinées et les destinées des Stark, des Lannister et des Frey de la saga de George Martin. J’ai pu feuilleter un dictionnaire Marilyn Monroe, à l’occasion des 50 ans de sa disparition.

Vers la fin de l’été, j’ai aussi suivi les invitations au voyage littéraire proposées par Laura El Makki dans ses émissions sur France Inter, « On n’a pas fini d’en lire ». Cet article est par ailleurs un peu curieux, car il me faut parler de quelqu’un que je connais personnellement, sans céder à l’éloge systématique…

Ce n’est pas parce que j’ai étudié pendant deux ans aux côtés de Laura la littérature française, sous la férule passionnante et cynique de Jean-François Louette, spécialiste du 20ème siècle, de Sartre et de Queneau entre autres, et qui nous considérait comme de douces rêveuses, accrochées à notre Proust et notre Aragon.

Ce n’est pas parce que Laura est devenue ma « camarade » attitrée des cinémas, et que j’apprécie les discussions à bâtons rompus sur les livres et les films, « littéralement et dans tous les sens ». J’ai de temps à autre un coup de téléphone pour me demander si je n’aurais pas dans le coin de ma caboche l’idée d’un livre évoquant tel ou tel thème, et qui nous relance à nouveau dans ces conversations sans fin…

C’est parce que, aussi bien dans la préparation des émissions de Guillaume Gallienne, « Ça peut pas faire de mal », que lorsque l’on écoute « On ne demande qu’à en lire », Laura nous propose une aventure spontanée, dépaysante, rafraîchissante. Une de mes aventures préférées, dans le laboratoire de la création littéraire.

Dans une atmosphère de halls d’hôtels et de cafés, qui n’est pas sans rappeler ce que disait Fanny Ardant dans une de ses interviews « J’aime les halls d’hôtels, les halls de gares… », les endroits où l’on se rencontre… elle cherche à comprendre ce qu’est pour nous un classique. Pas le classique parfois rébarbatif de la salle de classe, mais le livre de chevet qui est pour nous tout à la fois un point de départ dans notre vie de lecteur, et la destination vers laquelle nous choisissons toujours de revenir.

Mon émission préférée est sans doute celle consacrée aux « Années » d’Annie Ernaux, avec comme invitée la comédienne Dominique Blanc. Un livre magnifique qui assiste à la propre construction d’un être et d’un écrivain, à travers les instantanés personnels et historiques d’une vie. Parce que ce voyage littéraire ne nous entraîne pas seulement vers la lecture, mais vers cette communion fulgurante entre l’écrivain et son lecteur, irrésistiblement.

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