Depuis aujourd’hui, je peux enfin faire joujou avec E-Sidoc. Pour les personnes qui ne sont pas du métier – et pour lesquelles je vais tenter, une fois de plus, de ne pas jargonner, je vais expliquer brièvement en quoi consiste E-Sidoc. La plupart d’entre nous, anciens élèves, a connu des logiciels documentaires pas franchement glamours. Déjà, lorsque j’étais collégienne, j’avais eu droit à ces versions successives de BCDI, toutes plus chatoyantes les unes que les autres (on la sent l’ironie au bout du clavier ?). Quel bonheur, les heures d’initiation à la recherche ! Qu’elles étaient belles, ces interfaces, avec le thésaurus, miam !

Mais désormais, BCDI n’est que l’outil de travail du documentaliste, son interface professionnel. Les élèves – et les enseignants – ont droit à E-Sidoc, un portail documentaire beaucoup plus réjouissant, et, disons-le, beaucoup plus en lien avec les pratiques des élèves. C’est beau, ça sent bon le sable chaud (ou presque). Et aujourd’hui, moi aussi, grâce à l’intervention divine de ma personne ressource, j’ai le bonheur de tripatouiller E-Sidoc. A moi la modernité !

E-Sidoc permet, entre autres, de présenter aux élèves des sélections thématiques avec la couverture des livres choisis (exemple : c’est bientôt Halloween ? je fais une sélection des livres sur dragons, sorcières, fantômes, etc.). Il est régulièrement mis à jour et offre les Unes de journaux et les couvertures des derniers livres saisis. En gros, il permet de rendre visible le CDI sur l’extérieur.

Il offre aux usagers une navigation beaucoup plus fluide et attrayante et bien plus proche de leurs usages. A propos de leurs usages – et j’en viens tardivement à mon sujet – plusieurs choses m’ont frappée depuis que je suis en poste, pas seulement en collège, mais depuis le début de ma courte carrière :

D’abord, c’est la facilité déconcertante avec laquelle ils s’approprient un ordinateur pour faire des choses complètement  autres que ce qu’ils prétendent. Une soit disant recherche en musique les conduit au parcours de tel ou tel footballeur, une révision d’anglais les amène à la lecture d’une vidéo en streaming, un exposé les fait atterrir sur les extraits YouTube du match OM / PSG, la permission d’aller jouer à un jeu pédagogique de maths, d’histoire géo ou de physique les propulse directement sur Angry Birds. Sans parler des diverses tentatives pour aller sur Facebook ou sur leurs boîtes mails pour récupérer les photos de la dernière soirée (j’ai davantage constaté ces dernières digressions en lycée). J’ai déjà donné un nom à ce type de pratiques discrètes, dès qu’elles sortent de notre champ de vision ou qu’elles profitent de notre baisse d’attention : c’est l’extension du domaine de la recherche.

La deuxième chose qui me frappe de plus en plus, c’est la propension à considérer le moteur de recherche comme l’être infaillible qui a toutes les réponses. Lorsqu’on leur donne un questionnaire de recherche, ils ne tapent plus des mots clefs mais textuellement les questions qu’on leur pose. Exemple : lors d’un projet en physique sur les énergies, on leur pose la question suivante sur un certain type d’énergie : « quelles sont les différents éléments composant une centrale fonctionnant grâce à cette énergie ? », ils ne tapent pas « éléments + centrale + l’énergie en question » mais bel et bien la question telle qu’elle a été posée.

Lorsque je faisais travailler des élèves de première STG sur le manga avec des questions type « Qu’est-ce qu’un mangaka ? », « Comment fonctionne le droit d’auteur ? », « Quelles sont les différentes formes de mangas ? », la tendance était la même.

Internet, c’est le dieu sans visage, l’oracle de Delphes. On lui pose une question et il ne répond pas toujours de manière directe, mais on a de plus en plus l’impression qu’on pourrait lui demander n’importe quoi et qu’il nous répondrait. « Qui suis-je ? Où vais-je ? Dans quelle étagère ? », « Suis-je heureux ? Où serai-je dans dix ans ? Ai-je réussi ma vie ? »

Par exemple, si je tape « Suis je heureux » sur Google, j’obtiens 62 600 000 résultats. Il propose une autre suggestion d’orthographe « suis je heureuse », qui féminise directement la recherche et donne une idée du profil habituel des personnes qui posent ce genre de question.

Un vrai horoscope, un vrai maître à penser, encore mieux que les savants de l’expérience de Milgram. L’expérience de Milgram, ce sont trois personnes : un savant et deux « candidats ». L’un des candidats (1) pose des questions à l’autre (2) et, en cas de mauvaise réponse de sa part, doit lui donner une décharge électrique, qui augmente au fil des questions. Bien-sûr, les décharges sont fictives, celui qui répond fait semblant de hurler de douleur. Le savant incarne l’autorité, qui pousse le candidat 1 à continuer l’expérience. Celle-ci n’est en fait destinée qu’à mesurer le degré de soumission et d’obéissance d’un individu, même face à quelque chose qui pourrait lui paraître injuste. Elle a été transposée à la télévision il y a quelques années, sous le titre « Le Jeu de la mort », l’autorité étant cette fois incarnée par la présentatrice de télévision. Mais il est pour moi certain qu’on pourrait la transposer sur Internet, où cette fois-ci le web incarnerait l’autorité.

N’est-ce pas une preuve suffisante qu’après « Je l’ai lu dans un livre » ou « Je l’ai vu à la télé », ce soit « Je l’ai trouvé sur Internet » qui garantisse la valeur d’une information ?