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Plussoyer ou plussoir ?

Hier sur Facebook, une de mes amies manifeste sa perplexité : « Mais ça veut dire quoi « je plussoie » ? Mais ça vient d’où? l’étymologie? la construction du mot? bref. Ça sort d’où ce truc ? » Sa question ayant suscité chez moi un début de curiosité, j’essaye de construire un verbe qui pourrait dériver de cette première personne du singulier. Je plussoie : verbe du premier groupe (ployer, nettoyer…) ou du troisième groupe (asseoir, voir, croire…). En gros, plussoyer ou plussoir ? je ne vais pas me laisser arrêter par le doute, je décide de construire un mot en rajoutant [ment] à la fin : plussoiement. Et voilà ce que je trouve :

Ce qui n’est pas nouveau, c’est que l’on fabrique des mots à partir de nouvelles pratiques, des mots qui, à l’étonnement de l’amie en question, finissent dans le dictionnaire. Et encore, pour celui-ci, les Dupond et Dupont n’ont-ils pas tout inventé ? Je dirais même plus, n’ont-il vas tout inpenté ? Ici, ce qui m’a surtout amusée, c’est le détail de cette définition : on y apprend donc que plussoir est moins courant et que le contraire de plussoyer est moinsoyer, dont l’emploi est rare. C’est sûr que moi, quand je vais faire un commentaire sur quelque chose qui ne m’emballe pas du tout, je vais tout de suite dire : je moinsoie à cette allégation. Enfin, c’est toujours bon à savoir…

A travers les plussoiements et du coup, je suppose, les moinssoiements (on ne va pas pinailler), c’est de l’expression des émotions sur Internet dont je suis curieuse. Pas seulement de ce simple clic qui nous fait « Liker » quelque chose sur Facebook, et qu’un article de Télérama (déjà cité) analyse ici. Pas seulement non plus la manie des « retweet » sur Twitter, les « J’aime » et « Je n’aime pas » sur YouTube, ou encore les pratiques de référencement (en gros, décrire un document numérique à l’aide d’un certain nombre de tags pour le mettre en valeur).

Il y a aussi toute cette palette d’émoticônes que l’on ajoute à chaque fois que l’on discute avec quelqu’un : clin d’oeil, sourire, large sourire, sourcils froncés inspirés de l’univers des mangas, ange ou démon, coeur, etc. Toute cette artillerie qui sert à donner au discours un aspect verbal dont le privent le clavier et la souris, et à laquelle s’ajoute les expressions minimalistes de l’humour et de la complicité : lol, mdr, omg, etc. Lors de ma dernière conversation d’hier soir sur Facebook, j’ai employé 8 fois le terme « lol », 2 fois « mdr » en l’espace d’une demi-heure de discussion.

Le plus dur à traduire, dans ce genre de discussion, et même lorsque l’on écrit sur un blog ou lorsque l’on commente un article, c’est l’ironie, même à grands renforts de « lol », « mdr » et clins d’oeil.

Hier, autre discussion sur Facebook. Je parle avec une ancienne camarade de formation de certaines émissions de télévision, qui donnent envie de pleurer, ce que je surnomme « les abysses de la télé ». Parmi elles, les différentes variantes des Chtis et des Marseillais : un défilé de têtes remplies d’eau chaude qui feraient passer n’importe qui d’autre pour un prix Nobel de littérature, et l’émission « Le jour où tout a basculé », qui allie l’intensité émotionnelle de Toute une histoire et les qualités d’un scénario de Plus belle la vie… Nous spéculons sur ce que pourrait provoquer comme résultats la torture de passer une journée entière, cloîtrés, à regarder ces émissions. Elles nous feraient sans dénoncer père et mère, voire même nos animaux domestiques, pour des crimes imaginaires. J’ajoute que cela reviendrait à passer la journée avec mon élève préféré… J’écris la phrase telle quelle, sans lol, mdr ou émoticônes. L’ironie est ici imperceptible : l’amie me demande si je ne parle pas plutôt de mon élève « pestiféré ». Si j’avais voulu laisser la phrase sans abréviations ou smileys, j’aurais sans doute dû déformer le mot pour lui donner la forme du son qu’il aurait eu à l’oral : mon élève « prrréééffééérrrééé ».

Dans un de ses commentaires sur mon blog, Sky revient sur le fait que je n’ai pas lu Fifty shades of Grey et réplique « tu ne sais pas ce que tu rates ». Malgré mes connaissances de la personnalité de Sky et, dans une moindre mesure, de ses goûts littéraires, sur quoi puis-je me fonder pour déterminer si sa remarque est ironique ou non ? Je ne fais que spéculer. Je choisis donc un moyen terme et je réponds sur ce que j’ai entendu dire du livre et de la qualité (soit disant absente) de son écriture. Ainsi, je ne me lance pas dans une diatribe radicale « Quoi, tu lis cette feuille de chou avec laquelle je ne voudrais même pas emballer un poisson ? » et j’anticipe l’ironie probable. Quelques heures plus tard, un nouveau commentaire de Sky : c’était bel et bien de l’ironie, suivie de conseils littéraires renvoyant davantage à Sade qu’à ce pavé gris.

En tout cas, j’essaye d’imaginer un discours d’homme politique ou l’intervention d’un journaliste, le discours de remerciements d’une personnalité récompensée d’un prix, et qui ne seraient composées que de lol, de mdr, ou de ces autres expressions minimalistes du web et des sms. Au lieu des : « Etant donné la conjoncture actuelle, j’ose espérer que les négociations avec les différents acteurs porteront leurs fruits », nous aurions « Je Like cet échange. Je vous skype quand vous voulez. Lol »

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  1. Vava

    Waw je suis cités dans tes articles ! C’est le début de la gloire (= second degré !). Je pense en effet que sur Internet, ce qu’il manque c’est essentiellement le non verbal et le paraverbal, que la relation au seul écran occulte. Et les « lol » et autres « mdr » signifieraient alors « Attention, ceci est du second degré ». J’analyse ça avec le prisme de l’anthropologie de la communication que j’étudie pas mal ces derniers temps. On comprend mieux ce qui se passe du côté de la proxémie, de la kinésique et du langage non verbal sur le web, je pense que ça t’intéresserai beaucoup !

    • C’est exactement ce que je voulais dire ! Lorsque l’on tape le mot de manière neutre, sans surcharger la phrase de smileys et d’abréviations, on perd la « manière de dire », toutes ces précautions oratoires que l’on prend face à quelqu’un dans un échange direct.
      Par rapport à ce que tu disais de la proxémie et de la kinésique, sur le web, est-ce qu’on les étudie uniquement à travers ces outils non verbaux du langage clavier ou est-ce qu’on s’intéresse aussi à la relation mécanique avec l’ordinateur, à l’utilisation des réseaux sociaux et à la distance physique que l’on a avec la « machine » ?

  2. Vava

    Alors justement, ce que j’ai lu en ce moment c’est plus une approche anthropologique concrète et axée sur la réalité, non sur le virtuel (Hall, Veron, Levasseur, Winkin, l’école de Palo Alto, le collège invisible…). Mais j’essaie de le mettre en lien avec des articles qui parlent davantage de la relation homme-machine et des sociabilité numériques (Breton, Casili…). Si ça t’intéresse, je te conseille vivement la lecture de « Anthropologie de la communication » de Winkin, c’est une petite merveille !

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