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Blog pour cinéphiles et profs docs

Mois : juin 2012 (Page 2 sur 3)

Inventaire or not inventaire ?

En cette fin d’année – de première année pour moi – les professeurs documentalistes autour de moi n’ont que le mot « inventaire » à la bouche :

  • Regard fatigué et rempli de fierté : « J’ai commencé l’inventaire. »
  • Regard paniqué et aux abois : « Vous avez commencé l’inventaire ? »
  • Regard mode liste de diffusion professionnelle : « CDIBLOP/GESTION : j’ai un souci avec mon inventaire !!!! »
  • Regard fuyant : « Je n’ai jamais fait d’inventaire…. où sont les clefs de ma TARDIS ? »

Au milieu de tous ces gens à l’équilibre mental plus ou moins fragile, j’ai conscience que l’inventaire est une mission incontournable… mais oui mais oui ! Lorsque l’on prépare le concours, l’inventaire est une des notions que l’on aborde, pour devenir presque aussi automatique que le bulletinage des périodiques et la sauvegarde des données. Si bien que se met en place l’équation suivante : fin d’année = inventaire.

On apprend que l’inventaire n’est pas simplement l’opération mystérieuse qui nous prive à certaines occasions de nos magasins favoris, que ce n’est pas seulement l’art de compter des cartons – même si le fait de compter occupe une place importante de cette opération.

Gaston Lagaffe© Franquin

On apprend aussi à distinguer le récolement, mot barbare qui désigne l’action de contrôler dans le rayonnage la présence physique du document, et l’inventaire qui est la liste de tous les documents de la base, présents ou absents.

Le récolement et l’inventaire en viennent à me rappeler certains textes de philosophie, et éveillent le vague souvenir de notion d’être et de non-être…

En effet : certains documents sont présents, d’autres existent mais sont absents du rayon (sortis, perdus, archivés, désherbés), d’autres encore sont indiqués comme présents mais ne sont pas sur les rayonnages (volés, déplacés). Et les documents absents continuent d’exister sur une liste ou dans une base mais n’existent plus physiquement.

L’inventaire est certainement l’un de ces travaux titanesques qui, vus du ciel, donnent l’impression d’allées et venues de fourmis et qu’on ne parvient pas à commencer avant d’en avoir choisi l’emplacement de la première pierre.

Un ancien poème égyptien

En parcourant les différentes rubriques d’un site Internet que je recommande aux cinéphiles amateurs de répliques cultes, aux butineurs de liens et aux cliqueurs en tous genres, Cinélog, j’ai retrouvé toutes les répliques qui s’impriment plus ou moins volontairement dans nos têtes.

Ma mémoire est tout à fait sélective : je retiens beaucoup mieux les répliques de cinéma, les paroles de chansons et les citations littéraires que les verbes irréguliers allemands, les champs du pavé ISBD et la différence entre métonymie et synecdoque. Après, tout est une question de préférence.

Lorsque quelqu’un se met à réciter « Aucun lien, fils unique », « Je suis le pape et j’attends ma sœur » ou encore « Prenez un chewing-gum Émile », on reconnaît à coup sûr le fan de La Cité de la peur, celui qui l’a vu quinze fois et qui est capable de rire d’une réplique avant même que la scène l’impliquant ait eu lieu. Lorsque un chevelu fondu de fantasy et d’art médiéval affirmera « Personne ne lancera un nain », « Vous ne passerez pas » ou « Je vous aurais suivi mon frère… mon capitaine… mon roi », on saura être en face d’un féru du Seigneur des anneaux. Et l’on suivra à la trace le jedi de Star Wars ou le scribe d’Astérix et Obélix, Mission Cléopâtre.

Personnellement, je suis capable de réciter tout le début de ce dernier film, depuis « Un ancien poème égyptien… » jusqu’à la « délicate Cléopâtre… ASSEZ ! » Le tout étant pour le moins exaspérant. Je peux réciter un certain nombre de répliques des films Mon petit doigt m’a dit et Le Crime est notre affaire… surtout celles de Catherine Frot – « le léopard tacheté », « ce que tu deviens popote », « quand tu auras fini de conjuguer le verbe sentir… »

J’aime la tirade d’Arletty dans Hôtel du Nord, les lamentations de Michel Simon et les exclamations de Louis Jouvet dans Drôle de Drame, les promenades et les murmures des Enfants du paradis et la parade amoureuse de Gabin et de Morgan dans Quai des brumes.

Enfin, j’ai une tendresse toute particulière pour les dialogues d’Audiard dans Les Tontons flingeurs, mes sentences préférées étant :

« Patricia mon petit, je voudrais pas te paraître vieux jeu ni encore moins grossier. L’homme de la pampa parfois rude reste toujours courtois, mais la vérité m’oblige à te le dire : ton Antoine commence à me les briser menu ! » et « Et c’est pour ça que je me permets d’intimer l’ordre à certains salisseurs de mémoire qu’ils feraient mieux de fermer leur claque-merde ! Ah ! »

Par contre, je déplore chaque jour de n’avoir jamais réussi à retenir l’intégralité de la tirade de présentation de V dans V pour Vendetta – et d’ailleurs, laquelle retenir, la version française ou la version originale ? – et la tirade d’Otis dans Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre.

Mais j’ai à mon actif un certain nombre de répliques des films de François Truffaut, dont ma préférée est très certainement celle de Valentina Cortese dans La Nuit américaine, que je sais reproduire en mettant même le ton :

« Cet acteur, toute sa vie il a rêvé de jouer Hamlet. Enfin il réussit à monter son spectacle. Mais il était tellement mauvais, tellement mauvais, que tous les soirs, il se faisait siffler. Alors un soir il en a eu assez. Il s’est arrêté en plein milieu du monologue « To be or not to be », il retourne son visage vers le public et il leur dit « I didn’t write that shit !  » C’est pas moi qui a écrit cette merde ! »

Potager documentaire

L’univers des bibliothèques et des centres de documentation ressemble à un jardin, plus ou moins bien entretenu. On y emploie avec délectation des métaphores fleuries pour désigner les actions les plus quotidiennes, aussi bien du professionnel que de l’usager. Ces métaphores recouvrent en effet aussi bien les méthodes de classification et de gestion que les méthodes de recherche de l’information.

J’ai déjà évoqué les systèmes de classification des documents, que ce soit dans le domaine personnel ou professionnel. On classe les documents par supports – revues, livres, DVD – par genres – documentaires ou fiction – et par thèmes. Les thèmes se déclinent selon dix catégories : généralités (000), philosophie (100), religions (200), sciences sociales (300), langues (400), sciences pures (500), sciences appliquées (600), arts (700), littérature (800), et histoire-géographie (900).

Ensuite, selon le degré de précision du sujet, on ajoute des dizaines, des unités et des décimales. Un ouvrage sur le cinéma va donc être classé en 791.43 : 700 pour les arts, 90 pour les arts du spectacles, 1 pour les représentations scéniques, .43 pour le cinéma. J’ai l’habitude de dire aux élèves que c’est comme sur les boites de vache qui rit : la boucle d’oreille de la vache qui rit représente la vache qui rit, qui a elle-même une boucle d’oreille…

Ce qui me plait dans ces classifications, ce sont les manières dont on cherche à les faire comprendre. Pour moi c’est la métaphore de la vache qui rit. Mais le principe de l’arbre fonctionne très bien aussi. Et dans les écoles primaires, on utilise la marguerite Dewey, chaque pétale symbolisant un thème.

En documentation, on utilise aussi un concept qui fait ouvrir des yeux ronds comme des billes aux personnes qui ne sont pas familières de notre univers : le désherbage (ou élagage au Canada). Il ne s’agit pas de faire dans un coin de notre réserve ou derrière la banque de prêt, une petite culture de plantes plus ou moins licites. Le désherbage est simplement la technique qui permet d’éliminer des documents ne répondant plus aux exigences des professionnels et des usagers, pour les remplacer par d’autres documents. Ainsi, quand un livre est trop vieux, que ces informations ne sont plus d’actualité ou qu’il lui manque des pages, on le désherbe. Un livre de géographie sur l’Allemagne, datant de 1980, auquel il manque les pages 120 à 150, et qui parle comme du dernier scoop de la RDA et de la RFA, remplit complètement ces critères, à moins que des conservateurs chevronnés décident de le faire passer du rayon géographie au rayon histoire.

Enfin, pour finir avec ces métaphores botaniques, on parle, lorsqu’on évoque certaines méthodes de recherche, de « butinage », que ce soit sur Internet ou face à des documents physiques. Le butinage est la pratique qui consiste à fouiner, se promener dans les rayons et de lien en lien Internet, pour « faire son miel » de l’information que l’on récolte, trouver ce que l’on s’attendait – ou pas – à trouver. Le butinage rejoint la notion de « sérendipité », développé dans cet article d’Internet Actu, un de mes sites favoris…

Plus que jamais, c’est dans le cadre de la documentation, et usagers et professionnels se rejoignent, que s’imposent à nous la nécessité de « cultiver notre jardin ».

 

Hommes-livres et hommes libres

« Des milliers sur les routes, les voies ferrées désaffectées, à l’heure où je vous parle, clochards au-dehors, bibliothèques au-dedans. Rien n’a été prémédité. Chacun avait un livre dont il voulait se souvenir, et y a réussi. »

Au lieu de construire, à la manière de George Orwell dans 1984,  un monde où l’histoire se réécrit en permanence, où le service des archives est le domaine de l’imagination, puisqu’il faut sans cesse réinventer le passé pour le conformer à la politique du présent, Ray Bradbury a créé, dans Fahrenheit 451, un avenir qui refuse le passé, et qui se consacre exclusivement à sa destruction. C’est toute la mémoire du monde qui est menacée, et dont les seuls dépositaires deviennent ces « hommes-livres ».

Il m’est impossible de penser à Fahrenheit 451 sans y associer les images du film de François Truffaut, et c’est à chaque fois les deux mêmes scènes qui s’imposent. La première, c’est l’intervention des pompiers incendiaires dans la maison de la vieille dame. Ils y retrouvent l’une des plus imposantes bibliothèques clandestines de la ville. Lorsque les livres sont brûlés, Truffaut filme leur agonie comme s’il s’agissait d’êtres vivants : les pages se tordent de douleur, se convulsent, tremblent sous la flamme, et la femme qui s’immole sur ce bûcher fait de même. Elle ne fait qu’un avec les livres. Elle est le premier livre incarné que rencontre Montag dans sa conversion à la mémoire.

La deuxième scène, c’est la confrontation de Montag avec les hommes-livres. Je ne me souviens plus si dans le livre il y a le même lapsus, ou s’il s’agit d’une idée de Truffaut. En anglais, Montag entend « good people » lorsqu’on lui parle des « book people ». En français, le lapsus est traduit : « hommes libres », « hommes-livres ».

Les « hommes-livres » redonnent vie au livre qu’ils récitent. J’aime ces œuvres où les livres sont plus vivants que les personnages qu’ils côtoient. Dans A la recherche du temps perdu, le livre se confond avec le narrateur, il s’étire pour prendre la mesure de son expérience et de son être. L’auteur aurait-il eu plus de temps, le livre aurait pu croître en conséquence. Le livre à écrire se confond avec la vie passée à l’écrire et avec la vie vécue. Chez Bradbury, l’homme devient le réceptacle du livre et confond sa vie et celle de l’œuvre qu’il choisit. Là encore, cette dernière est à la mesure humaine du temps et de la mémoire, fragile mais investie. Enfin, chez Zafon, dans L’Ombre du vent, dans Le Jeu de l’ange et dans Les Lumières de septembre, le livre est l’incarnation maudite de son auteur. Il se nourrit de l’être, hérite de sa vie et de son souvenir et revient hanter les hommes, tout puissant, rebelle aux prières et aux tentatives de destruction.

Quels hommes-livres serions-nous ? Quels livres voudrions-nous incarner, pour substituer leur mémoire à la nôtre ? Quelle mémoire est assez vivace pour se consacrer exclusivement à un seul livre et ne vivre que pour lui ?

Ray Bradbury est mort mardi.

Reflets parisiens

Hier soir, je regardais les deux premiers volets de Métronome, l’émission de Lorant Deutsch adaptée de son ouvrage, Métronome, l’histoire de France au rythme du métro parisien. Au-delà des partis pris de Lorant Deutsch et des critiques pointilleuses dont il a fait l’objet, ce que ces émissions m’ont apporté, c’est l’envie d’un voyage parisien littéraire et cinématographique.

Par son dynamisme, mais surtout par ses partis pris, Lorant Deutsch évoque le souvenir du Sacha Guitry de Si Paris m’était conté, auquel j’ai toujours préféré son Si Versailles m’était conté, et de Napoléon. Lorsque Guitry raconte, il affirme sa pensée historique, qui ne sera pas forcément l’exactitude, mais la rencontre de l’Histoire et d’une imagination personnelle… et c’est, selon moi, tout à fait la même chose pour Lorant Deutsch.

Mon texte préféré sur Paris, c’est le poème « Les feux de Paris », qui figure dans le recueil Les Poètes, de Louis Aragon. « Toujours quand aux matins obscènes / Entre les jambes de la Seine / Comme une noyée aux yeux fous / De la brume de vos poèmes / L’île Saint Louis se lève blême / Baudelaire, je pense à vous… » Après, me viennent des souvenirs de lectures, Baudelaire, Victor Hugo… mais surtout le Paris évoqué dans ses textes autobiographiques par Simone de Beauvoir, depuis Les Mémoires d’une jeune fille rangée jusqu’à La Cérémonie des adieux.

Les images que j’ai de Paris, ce sont surtout les œuvres de Monet, de Maurice Utrillo et de Doisneau. Mais les images qui l’emportent sont celles de L’Affaire du collier, l’une des aventures de Blake et Mortimer, débutant comme il se doit dans les embouteillages parisiens, faisant un détour par les égouts, pour aboutir dans les allées du parc Montsouris.

Enfin, les films qui m’évoquent le mieux Paris, ce sont ceux de François Truffaut – Les Quatre cents coups, Baisers volés, Le Dernier métro – et de Cédric Klapisch. Ce sont eux qui, pour moi, rêvent le mieux Paris. Et j’entends toujours la voix de Fabrice Luchini, donnant ses cours dans l’amphithéâtre de la Sorbonne et tournant ses émissions racontant l’histoire de Paris, ce que fait Métronome à sa manière.

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