Disney

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Vendredi, j’ai fini mes séances de méthodologie de recherche sur Internet avec les élèves de troisième. Pour la plupart, ces séances se sont bien passées. Elles sont éclairantes sur les habitudes de recherche des collégiens. Pour rappel, je leur demande de faire une recherche simple sur Google, avec un mot ou une expression : « énergie », « source d’énergie », « développement durable », « environnement », « effet de serre », « pollution ». En fonction des résultats proposés par Google, je demande à chaque groupe de choisir un résultat différent. A partir de là, plusieurs constatations :

Ils savent que Google leur permet de faire une recherche sur Internet, mais ils ne savent pas ce qu’est un moteur de recherche. Il faut traduire clairement Google = moteur de recherche.

Lorsque s’affiche la page de résultats, ils ne trouvent pas spontanément le nombre de résultats et seraient prêts à les compter. D’où leur surprise de voir combien de résultats il y a à leur recherche.

environnement

Ensuite, la navigation est assez fluide, bien qu’ils ne fassent pas la différence entre site web et page web. Leur donner un résultat différent permet de faire un tour assez large des sites Internet possibles, du site institutionnel au site de presse, en passant par Wikipédia.

En ce qui concerne Wikipédia, cela reste l’un de leurs sites de prédilection, et je ne vois pas pourquoi je le diaboliserais. Pour moi, c’est un bon outil de recherche, que j’utilise quasi quotidiennement, le plus souvent juste pour vérifier quelque chose – la généalogie des Valois et le lien de parenté entre Louis XII et François Ier.

Par contre, ils ne savent pas où trouver les dates de dernières mises à jour, ni à quoi sert l’onglet discussion des articles et ne se souviennent pas d’avoir vu les bandeaux qui émettent des réserves sur certains d’entre eux :

citation sources wikipédia

ébauche

Ils connaissent Wikipédia grâce à un résultat sur Google, qui les dirige directement vers un article en particulier, mais ils  n’en connaissent ni la structure, ni les outils, ni la page d’accueil. C’est sur l’information de surface, sur la « Une », sur la première page qu’ils se concentrent. Première page des résultats de recherche et première page du résultat précis qu’ils auront choisi. Ce comportement va un peu à l’encontre du butinage que l’on attend d’eux d’ordinaire. On pense qu’ils naviguent allègrement de lien en lien et de page en page, mais le plus souvent, ce que j’ai constaté, c’est ce recours à la première page comme une sorte de refuge contre la surinformation.

Dans un article paru en 2009, « Est-ce que Google nous rend idiots ? » (Is Google making us stupid ?), Nicholas Carr s’était insurgé contre cette information de surface, allant jusqu’à la diaboliser. Il opposait surface et profondeur, lecture papier et lecture numérique, avec cet oeil critique qu’a chaque génération pour la génération qui la suit. Refrain habituel, passé versus présent, ceci tuera cela, la cathédrale et le livre, le cinéma et la télévision, le papier et Internet.

La première fois que j’ai lu cet article, une phrase a surtout retenu mon attention, parce que je trouve que, vulgairement parlant, elle envoie du bois :

« Auparavant, j’étais un plongeur dans une mer de mots. Désormais, je fends la surface comme un pilote de jet-ski. »

Cette petite phrase magique, avec son rien de poésie et son vague écho de querelle des anciens et des modernes, était devenue, lorsque je préparais le CAPES, une sorte de phrase fétiche que j’étais capable de ressortir dans n’importe quel sujet de composition. Invariablement, quelle que soit la question, revenait le pilote de jet-ski. C’était presque devenu un défi, comme les blagues de certains élèves qui consistent à tous placer dans un devoir le même mot ou la même phrase. Ce n’était pas seulement le rythme de la phrase qui me plaisait, les images que Nicholas Carr utilise, ou le rendu de cette phrase lorsqu’on la prononce le plus rapidement possible. Je n’ai d’ailleurs jamais cherché à savoir ce qu’elle donnait en version originale, jusqu’à maintenant : « Once I was a scuba diver in the sea of words. Now I zip along the surface like a guy on a Jet Ski. » Même efficacité. Zip !

C’était aussi le sentiment exprimé, cette langueur de la plongée opposée à cette rapidité du jet-ski. Surfer sur Internet : l’impression d’une fulgurance, qui fait que chaque page mettant un peu plus de deux secondes pour se charger nous rend impatients. Surfer, traverser des vagues et des vagues d’informations, et selon Nicholas Carr, n’en rien retenir, ou presque. Effectivement, on a souvent l’impression de rester en surface, lorsque l’on surfe. Mais je ne pense pas que l’on sorte de l’eau aussi sec que lorsque l’on y est entré. On y boit pas la tasse, mais l’on reçoit toutes ces gouttelettes qui, par moments s’évaporent ou qui, parfois, s’imprègnent, nous pénètrent, nous hydratent. La différence, c’est que certains ont la capacité de retenir en eux ces quelques gouttelettes et que les autres les laissent s’évaporer, les laissent glisser comme sur des écailles. Pilote passif ou pilote actif ?

Reste à savoir à quelle catégorie appartiennent les élèves, et je pense que, comme tout le monde, ils ont chacun une manière propre de s’informer, un profil d’infolettrés (j’emprunte cette notion à un collègue, qui distingue deux types d’infolettrés : le type Hermione Granger, qui creuse, fouille dans les bouquins, plonge et approfondit pour faire le tour d’une question, et le type Sherlock Holmes, capable de recueillir l’information à partir des indices en présence). Rien ne se restreint à un profil type et aucune des deux attitudes n’interdit l’autre. Tout est affaire de curiosité.

Pour finir, en guise de post-scriptum, explication du titre : ma fâcheuse tendance à utiliser la phrase de Nicholas Carr comme la citation inévitable d’une composition, m’avait faite surnommer Mufasa durant la formation au concours, par certaines de mes comparses, qui invoquaient en prière l’esprit de saint Nicholas : « sssCarr, mon frère, aide-moi ! »