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Blog pour cinéphiles et profs docs

Date : 29 mai 2012

Fumeurs de Gitanes…

La série Mad Men est l’une des plus belles séries de ces dernières années, sur le plan esthétique et historique. L’atmosphère est feutrée, murmurante, tamisée. Tout y est soigné, les décors, les accessoires, les costumes. Mad Men évoque la vie des publicitaires de Madison avenue (les Mad Men) à la fin des années 1950. Tous ces hommes qui incarnent le rêve américain, l’American way of life, et la société de consommation. Un univers masculin, sûr de lui, sexiste, raciste et matérialiste.

Mad Men évoque parfaitement les héros d’Alfred Hitchcock et leurs compagnes blondes, distantes, « volcans recouverts de neige ». Rien que le début de la série, quand on la découvre : un milieu aisé, bourgeois, pour qui les femmes sont soit des épouses, soit des mères,  soit des secrétaires, qui bâtit au jour le jour l’empire américain à coup de slogans, avant de se retrouver au club et siroter des whiskys.

C’est exactement la situation initiale de La Mort aux trousses (North by Northwest). Roger Thornhill (Cary Grant) est un publicitaire new-yorkais sans histoire, aux costumes élégants, qui fréquente raisonnablement les bars d’hôtel et qui entretient de gentilles liaisons auxquelles il offre des boîtes de chocolats emballés dans du papier doré (pour qu’elles croient manger de l’or). Jusqu’à ce qu’il soit pris pour un agent du contre-espionnage, George Kaplan.

Mad Men, c’est La Mort aux trousses, le quiproquo en moins, et les cigarettes en plus. Mad Men restitue une époque où allumer une cigarette était encore synonyme de sensualité et de sex-appeal, et dont on n’a, dans La Mort aux trousses, qu’un bref aperçu, lorsque dans le train New-York – Chicago, Cary Grant allume la cigarette d’Eva Marie Saint. On regarde Mad Men, moins pour ce qui s’y passe que pour ce qui y est suggéré.

Mad Men me rappelle tous ces films des années 1940-1950. Films noirs avec femmes fatales et détectives blasés. Le générique du Grand Sommeil (The Big sleep) avec les silhouettes de Lauren Bacall et Humphrey Bogart, et leurs deux cigarettes dans un cendrier. Audrey Hepburn et son fume-cigarettes dans Diamants sur canapé (Breakfast at Tiffany’s). Bette Davis, sa gouaille, ses yeux fardés et sa sensibilité de star dans Eve. On allume une cigarette, pour entamer une agréable conversation, à la limite du duel ou de la censure. C’est l’instant de grâce. Toutes ces stars glamours des années 50, aux répliques cinglantes, à l’humour cynique et regardant la réalité en face, un rien désabusées. Humphrey Bogart ne surnommait-il pas ses cigarettes « les clous du cercueil » ?

© Collection AlloCiné / www.collectionchristophel.fr

Années 50, années 60, années 70. Dans La Nuit américaine (François Truffaut), l’accessoiriste allume des moitiés de cigarettes à l’acteur principal. Dans Vivement dimanche !, Fanny Ardant se grime en prostituée et fume une cigarette en faisant semblant d’attendre le client.

Et maintenant ? Les affiches montrant Gainsbourg en train de fumer dans le film de Joann Sfar avaient été censurées. On regarde Mad Men, mais l’on sait que les cigarettes des acteurs sont moins des provocations que des évocations, les créateurs ayant précisé qu’elles étaient sans nicotine. Au fond, cela me rappelle – et c’est curieux les associations d’idées que l’on peut avoir parfois – la réplique de Boromir dans Le Seigneur des anneaux :

« C’est une étrange fatalité que nous devions éprouver tant de peur et de doutes… pour une si petite chose… Une si petite chose… »

Tant de peur et de doutes pour une petite chose si séduisante et si dangereuse…

La nécessité de la plus-value

Travailler dans un CDI me donne parfois l’impression d’être une vendeuse sur un marché, qui essayerait d’attirer l’œil des passants sur des produits locaux : « Ils sont beaux mes outils, ils sont beaux. Demandez mes expos ! Tâtez-moi cette séquence pédagogique, elle est bonne, elle est fraîche, y’en aura pas pour tout le monde ! »

Dans un précédent article, je faisais des remarques sur l’âge variable du professeur documentaliste. Ce que j’ai constaté également, c’est l’énergie que demande ce métier, où il faut continuellement « vendre » son CDI et « se vendre », et prouver l’efficacité et la qualité – voire le sens – de notre travail.

Dans ses ouvrages La Science de l’information et Usages et usagers de l’information, Yves-François Le Coadic évoque, à l’ère du numérique, le changement de paradigme qui s’est opéré dans le milieu des bibliothèques et des centres de documentation : on est passé d’une approche « orientée professionnel » à une approche « orientée usager ».

Voilà, en quelque sorte, de quoi il s’agit : avant, il y avait des professionnels (bibliothécaires, documentalistes) auxquels l’usager venait demander un renseignement. L’usager, de sa propre initiative, posait une question, que le professionnel « traduisait » dans un langage documentaire, pour ensuite fournir la réponse et trouver le document recherché.

Désormais, le professionnel est mis en concurrence avec des outils et des usages extérieurs. Il est confronté à des usagers qui ont déjà une culture personnelle de l’information (numérique), ou justement à des « non-usagers », qu’il doit s’efforcer d’attirer.

Bien-sûr, il ne s’agit pas de réduire cette question à un simple clivage avant / après. J’utilise simplement l’expression de ce changement de paradigme pour montrer à quel point le professeur documentaliste se doit de construire une véritable politique de l’offre. C’est à mon sens pour cela que la communication sous toutes ses formes est primordiale dans ce métier, et qu’elle demande une énergie de chaque instant.

Tout dépend de l’établissement où l’on se trouve, et de son ambiance. La communication, c’est la discussion informelle en salle des profs autour de la machine à café, où l’on glane les informations sur les éventuels besoins, et où l’on propose. Ce sont les communications papier, l’affichage pour les professeurs et pour les élèves, sur les actions mises en place, mais qui la plupart ne sont pas lues, parce qu’elles se noient dans un océan de paperasse, et qu’elles doivent pâtir de toutes les causes humaines, fatigue, stress, inattention. C’est la réappropriation du plus grand nombre possible d’outils numériques à des fins de veille et d’échanges (portails netvibes, ENT, réseaux sociaux…). Enfin, c’est la capacité à dire « oui » une grande partie du temps :

 » Je peux venir avec un groupe d’élèves au CDI la semaine prochaine / dans une heure / dans dix minutes ?

– Oui. »

 » J’ai besoin de tels documents pour la semaine prochaine / dans une heure / dans dix minutes, tu peux me les trouver ?

– Oui. »

Au-delà de cette politique de l’offre, dans les échanges quotidiens avec les collègues et dans les projets que l’on mène avec eux, il faut instaurer une politique de plus-value. Dans le cadre de leurs programmes, ils sont tout à fait à même d’utiliser des outils de recherche et d’apprendre aux élèves à chercher. Il faut donc, pour chaque séquence, imaginer ce que nous, nous pouvons apporter. Deux exemples :

  • Un professeur d’histoire-géographie veut faire travailler ses élèves de seconde sur les grandes lois, dans le cadre de l’éducation civique, juridique et sociale. La collègue a déjà préparé une fiche, avec les adresses des sites où trouver l’information. Dans ce cadre-là, j’ai apporté une « plus-value » en faisant moi-même le travail des élèves sur la loi HADOPI. Cela me permet de leur donner un modèle du travail attendu, en partant de leurs pratiques et en leur démontrant que les lois s’inspirent justement de notre vie quotidienne.
  • Un professeur d’éco-gestion veut former ses élèves de première STG à la recherche documentaire, dans le cadre des programmes d’information-communication. Je lui présente les méthodes de classement des ouvrages, les différentes revues et les outils numériques du CDI, qu’elle s’approprie au point de produire son propre questionnaire pour les élèves. Je dois donc parvenir à proposer autre chose. Je choisis de créer, sur la base en ligne du CDI, un onglet rappelant comment s’informer sur l’actualité, avec le lien d’un portail netvibes proposant les flux de journaux et de magazines, français ou étrangers, et des sites de statistiques et d’informations économiques et sociales.

Exister, proposer, impulser, être visible, communiquer… ce sont les enjeux de ce métier. Ce blog n’est qu’un outil parmi d’autres, qui, à sa faible mesure, tente de répondre à ces enjeux.

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