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Blog pour cinéphiles et profs docs

Mois : mai 2012 (Page 2 sur 3)

Nights in white satin

Premières images : un port de l’Angleterre du 18e siècle. Une voix bien connue nous fait part de sa malédiction. Le réalisateur aime les ports, sombres, glauques, mal famés, et les personnages maudits par le destin. Il aime les visages d’une incroyable pâleur, et sur lesquels on guette la trace fuyante de leur humanité. Ce ne sont d’ailleurs pas les plus damnés qui sont les moins humains. Et si la damnation exacerbait justement tout ce qui reste d’humain en eux ?

A la fin du prologue de Dark Shadows, le spectateur a déjà retrouvé l’atmosphère dérangeante et dérangée des films de Tim Burton : une atmosphère de roman gothique, où l’obscurité semble d’un noir plus pur, et le sang d’un rouge irréel. Dans ses films, la mort n’est jamais une fin. L’histoire est tout sauf sinistre, c’est même tout le contraire. Tim Burton est sans doute la personne la plus optimiste qui existe, celle pour qui la mort est la plus belle des surprises. Comme si la vie ne pouvait être que banale et ennuyeuse. Comme si la mort était la seule aventure à imaginer, et c’est bien lui qui l’imagine le mieux.

Générique : un train traverse une forêt d’automne, bercé par la chanson des Moody blues. On a l’impression de retrouver les membres d’une grande famille : évidemment Johnny Depp et Helena Bonham-Carter ; mais aussi Michelle Pfeiffer et Eva Green. C’est bon, attachez vos ceintures, vous êtes lâchés dans un univers aussi familier que déjanté.

Si cet aspect déjanté prime sur la féerie habituelle de Tim Burton, certains diront « C’est tout ? », d’autres se laisseront porter. La principale source de comique, c’est le décalage temporel entre un vampire du 18e siècle et l’ambiance à la fois électrisée et hippie des années 70, le tout porté par une bande originale décoiffante. Et les scènes filent à toute allure.

L’une des scènes mémorables, c’est celle où Barnabas Collins (Johnny Depp) entre dans une taverne pour engager des pêcheurs afin de renflouer l’entreprise familiale. Il se retrouve en face d’un vieux loup de mer, que l’on reconnait davantage à la voix qu’à la casquette marine : Christopher Lee. La scène ne dure qu’un instant. Je me suis imaginée la situation : Christopher Lee vient rendre une petite visite de courtoisie sur le tournage, un peu dans le style « Coucou les enfants, c’est moi. » Et Tim Burton, de lui répondre : « Tiens, puisque tu es là, tu ne voudrais pas nous jouer une petite scène au dépoté ? T’en as pour cinq minutes, maximum. » Bien-sûr, ce n’est qu’une vue de l’esprit. Mais pourquoi pas ? En tout cas la scène ajoute encore au plaisir que l’on a de retrouver Tim Burton.

Depuis L’Etrange Noël de Mr Jack jusqu’à Dark Shadows, en passant par Batman, Big Fish, Sleepy Hollow, Charlie et la chocolaterie, Les Noces funèbres, Sweeney Todd, ou Alice aux pays des merveilles, il n’en finit pas de nous faire savourer un instant qui nous délivre de toutes nos pulsions et une friandise hallucinogène qui nous rend la mort délicieuse – plaisirs à prolonger à la Cinémathèque française jusqu’au mois d’août.

A la pêche aux traces…

 » Combien d’entre eux sont-ils conscients, en s’inscrivant sur Facebook dès l’âge de 13 ans, que commence alors un long processus d’entrée en documentation de soi, qui ne cessera probablement même pas avec leur décès ? »Olivier Ertzcheid.

Dans mon usage quotidien, personnel et professionnel, d’Internet, je me documente, je m’informe, je publie, je recherche, j’informe les autres sur qui je suis et ce que je fais, je deviens un document. Observer les élèves dans leurs pratiques numériques permet de prendre du recul sur nos propres pratiques. Ces dernières, qu’elles soient multiples ou réduites à leur portion congrue, donnent une datation au carbone 14 de la personnalité numérique du documentaliste : « pré-numérique »(le méfiant, le réfractaire, l’obligé), numérique dilettante, pro du numérique (celui qui code et qui veille). Je pense me situer dans la catégorie intermédiaire.

Si je tente de faire la liste des traces numériques et de donner une idée de mon identité numérique – en m’inspirant des définitions qu’en donnent Philippe Buschini et Fred Cavazza, cela pourrait donner :

  • 5 adresses mails ;
  • 1 compte Facebook et 1 compte sur Copains d’avant. Une inscription sur le nouveau réseau social des enseignants, RESPIRE (décidément, l’éducation nationale est douée pour les sigles) ;
  • la participation à un forum et à un blog ;
  • 3 portails Netvibes, un personnel, un professionnel (pour la veille) et un dans le cadre du CDI, à destination des élèves et des professeurs, un portail Netvibes étant un agrégateur de flux RSS permettant de suivre l’actualité d’une sélection de sites Internet ;
  • divers comptes utilisateurs et adhérents de sites commerciaux ;
  • un compte Blizzard pour les jeux en ligne.

Tout cela génère des données sur mon identité numérique, cette dernière étant la synthèse de mon identité personnelle, de mes coordonnées, de ma vie culturelle et professionnelle et de la création d’une identité fictive, par l’intermédiaire d’avatars et de pseudos.

La notion d’identité numérique permet d’aborder un certain nombre de questions avec les élèves : le droit d’auteur, le droit de l’image, la protection de la vie privée (paramètres de confidentialité sur Facebook, gestion des traces numériques), ainsi que la diversité propre à cette identité.

Généralement, je commence par leur demander de rechercher leur nom et leur prénom sur Google, ainsi que sur le site www.123people.fr, pour faire la part de ce qu’ils publient, et de ce qui n’est pas de leur fait (homonymie).

Les recherches qu’ils entreprennent par la suite – recherche de l’auteur d’un site, compréhension de la rubrique « Mentions légales », définitions des types d’outils permettant la publication sur Internet – permettent d’aboutir à la réalisation d’une synthèse sur l’identité numérique, sous forme de schéma simplifié. Ce qui donne à peu près ceci :

Juliette Filiol, professeur documentaliste – 2011/2012

Médias et politique

« Achetez la presse, et vous serez maîtres de l’opinion, c’est-à-dire les maîtres du pays. »

J’aurais pu, lors d’une séquence sur les médias et la politique, donner cette citation d’Adolphe Crémieux aux élèves. Faire travailler les élèves sur les Unes de presse, et plus généralement sur le traitement de l’information, était l’une de mes attentes avant de devenir professeur documentaliste. La Semaine de la presse et des médias à l’école est généralement l’occasion à ne pas manquer pour effectuer ce travail. Et lorsque cette Semaine, prolongeable à souhait, coïncide avec le dernier mois de campagne présidentielle, c’est inespéré !

Entre le 24 mars et à peu près maintenant, avec une collègue d’histoire-géographie, nous avons construit une séquence d’ECJS autour de la relation entre médias et politique pour ses élèves de première ES.

Pendant une première heure, nous avons utilisé comme point de départ l’étude des partis politiques, en donnant à chaque groupe d’élèves le nom d’un parti engagé dans la campagne présidentielle. C’est l’occasion de voir de quelle manière un parti politique se met en image sur Internet. L’outil de comparateurs de programmes proposé par le site du Monde, permet en outre de voir les questions mises en avant par tel ou tel candidat.

A l’issue de cette première heure, les élèves effectuent une recherche d’une heure sur la collusion entre presse et politique, en prenant appui sur la notion de « quatrième pouvoir ». Ils s’intéressent aux modes de financement de la presse, à la relation entre presse et démocratie, puis comparent les différentes Unes de quotidiens nationaux. L’exercice peut être prolongé par l’étude des sites Internet de ces journaux. Sur la presse papier, on étudie la mise en page, l’utilisation des différentes zones composant la Une (voir à ce sujet la fiche InterCDI du n°235), les slogans, les sujets traités et les images proposées. Sur le site Internet, on étudie l’ergonomie du site et les « plus » apportés par rapport au journal.

Durant la troisième heure de cette séquence, le professeur d’histoire-géographie choisit d’approfondir le lien entre médias et politique dans le cadre d’un débat. Le thème retenu : « Doit-il y avoir un lien entre médias et politique ? » Un élève préside la séance, un autre élève note les interventions de ses camarades au tableau. A partir du rappel des définitions de « média » et de « politique », le but est de conduire les élèves aux notions de censure et de propagande, déjà abordées en histoire, tout en donnant de ces notions des exemples concrets. En fin de séance, on peut choisir plusieurs pistes de réflexion :

– les relations historiques de la presse et de la politique (les zones censurées des journaux au 19e siècle, l’affaire Dreyfus, les scandales : Watergate, mises sur écoute des journalistes, pays où la liberté de la presse est menacée…)

– la question de la réinterprétation et de la déformation des faits. J’utilise pour cela une anecdote rapportée lors de l’émission Arrêt sur images en octobre 2010. Un jeune homme d’origine arabe s’était fait passer, par téléphone, auprès d’un journaliste du Point, pour une femme mariée à un polygame. Le journaliste, sans vérifier l’identité de son « interlocutrice » et sans se déplacer, avait publié un article restituant le témoignage, en ajoutant des détails sur l’aspect physique du « témoin ». Cette anecdote interpelle les élèves sur la nécessité de vérifier les sources, sur les nouvelles conditions de travail du journaliste, forcé de trouver et de traiter les sujets « à la minute » et sur la confiance à accorder aux médias d’information (voir à ce sujet l’expérience de Milgram, celle du « Jeu de la mort », etc.)

– l’utilisation des réseaux sociaux comme source d’information (Twitter, Facebook). Cette question permet d’amorcer un travail sur l’identité et les pratiques numériques. On étudie y l’utilisation de la toile par les hommes politiques selon les mêmes modalités que l’observation des partis politiques en début de séquence.

Cette dernière piste montre aux élèves à quel point les supports d’information sont diversifiés et de quelle manière ils reflètent les modes de vie d’une société – voir les théories de Marshall McLuhan sur le passage d’une « galaxie Gutenberg » à « l’ère numérique » d’un « village global ».

Du flash à la trace, dis-moi comment tu t’informes, je te dirai qui tu es…

Les vitraux radieux du palais des miroirs

Il y a un mois est paru le dernier tome de la bande dessinée De Capes et de crocs, « De la Lune à la Terre ».

Quand on se plonge dans l’univers étourdissant de De Capes et de crocs, la première chose qui frappe, c’est la beauté de la couverture, les soins méticuleux qu’on lui apporte et tout ce qu’elle laisse suggérer. Une personne sceptique dirait : « Bel emballage, et après ? » Puis, on ouvre le premier volume, on tourne les premières pages, et l’on se laisse happer par l’histoire…

Nous sommes à Venise, au 17e siècle. Atmosphère d’illusions, de théâtre, de masques et d’intrigues. Deux gentilshommes  pleins de panache et d’esprit, Armand, un renard, et Don Lope, un loup, se lancent sur la piste du fabuleux trésor des îles Tangerines. Ils croisent sur leur route pirates et monstres marins, traitre sanguinaire et savant fou, caillou doué de sentiments, et Eusèbe, le lapin échappé des galères. Ils iront jusqu’à la Lune, où vivent les chimères, où les maisons se déplacent, où les duels se font en vers et où la monnaie est le poème.

De Capes et de crocs est une superbe fresque d’aventures, pleine de rebondissements. Elle me fait penser à un tableau monumental fourmillant de détails. Pour les amateurs de littérature, d’histoire et de cinéma, elle est aussi une promenade vertigineuse. Comme dans un labyrinthe des miroirs, on tente de reconnaître les reflets que l’on rencontre : on y côtoie les Fables de La Fontaine, la Commedia dell’arte, l’univers de Molière, l’ombre du masque de fer, le hollandais volant, la mythologie, les romans de Jules Verne. On y parle souvent en alexandrins, puisque c’est le meilleur moyen de se battre et de vivre. Et bien-sûr on y retrouve comme guide du premier au dernier volume Cyrano de Bergerac. Le Cyrano écrivain, voyageur imaginaire du 17e siècle, qui rêvait aux états et empires de la lune et du soleil. Et le Cyrano personnage de Rostand, virtuose de la rime et de l’épée, qui se disperse en échos dans chaque personnage de la bande-dessinée.

Emporté à toute allure de la première page à l’apothéose du tome final, une seule question subsiste : qu’allait faire Eusèbe dans ces galères ?

Autant en emporte la côte…

Dans l’univers quotidien des personnes généralement soit pourvues d’un poste de télé, soit familière du peer-to-peer, les séries TV sont des friandises bien juteuses. Quand j’étais petite, j’avais l’impression que les séries avaient deux sortes de publics. Un public de jeunes à qui l’on servait des trucs pseudo-romantiques et pseudo-ciblés, made in Club Dorothée… ou des séries mielleuses et mélo façon Petite maison dans la prairie. Et un public de maison de retraite, scotché devant La Croisière s’amuse, Arabesque ou Derrick.

Depuis, j’ai appris, par des articles, des lectures, etc., que chaque décennie a sa série représentative. Dallas pour les années 80, Friends pour les années 90, Desperate housewives pour les années 2000 (voir à ce sujet le blog de Pierre Sérisier http://seriestv.blog.lemonde.fr/2012/05/14/desperate-housewives-eloge-funebre-a-wisteria-lane/).

Evidemment la série de la décennie varie en fonction des centres d’intérêt du téléspectateur. Un amateur de science-fiction n’ira sans doute jamais dire que Desperate housewives est LA série des années 2000.

En matière de séries, mes goûts sont pour le moins éclectiques et s’étendent depuis The Avengers (avec une préférence pour la période Diana Rigg) jusqu’à Game of thrones. Friends, How I met your mother, Grey’s anatomy, Docteur House, Six feet under, The big bang theory, Doctor Who, Kaamelott, Un gars et une fille, Bref, Rome, Damages, Mad men J’en suis certaines plus assidûment que d’autres. J’ai toutefois une légère prédilection pour tout ce qui est histoire, ou à la rigueur en costume.

Dernièrement, ce qui a retenu mon attention, c’est la série anglaise Downton abbey. Suite au naufrage du Titanic et à la disparition de ses deux héritiers, une grande famille de la campagne anglaise se voit contrainte de reconnaître les droits à la succession d’un lointain cousin. Evidemment, tout s’arrangerait pour le mieux si ce dernier épousait une des filles de la famille, qui en compte trois. Cadre grandiose, acteurs aussi captivants que les personnages qu’ils incarnent, arrière-plan historique et scénario prenants. Cette série m’a rappelée une chose ou deux.

D’abord elle m’a rappelée Les Dames de la côte, série française de la fin des années 70, au casting là encore prestigieux, et qui suit le destin de trois familles normandes de 1912 à 1920. Comme dans Downton Abbey, on y retrouve la séparation entre maîtres et domestiques, la place nouvelle des femmes dans un cadre presque exclusivement masculin, et le bouleversement d’une guerre sur la société. La réalisatrice de la série, Nina Companeez, avait affirmé vouloir faire un Autant en emporte le vent à la française.

Et Autant en emporte le vent, c’est bien ce qui rapproche ces deux séries : un cadre historique brutal, qui va bouleverser les cultures et les familles et exacerber l’instinct de survie des hommes, au combat, et des femmes, à l’arrière – être infirmière, femme d’affaires et ne pas se laisser plier par les événements. Au-delà de ce qui peut paraître fleur bleue, désuet ou mélo, ce qui reste de l’histoire, que ce soit dans Downton Abbey, dans Les Dames de la côte ou dans Autant en emporte le vent, c’est cette leçon de survie.

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