« L’essayer, c’est l’adopter. »

Dans mes lectures d’aujourd’hui, j’ai retrouvé, formulée de différentes manières la question de notre rapport à Internet et aux usages du numérique. Olivier Le Deuff, sur son blog « Le guide des égarés », l’analyse sous un angle anthropologique, dans son article « L’homme documenté ». L’autre moi que nous utilisons lorsque nous naviguons sur Internet – notre identité numérique – nous complète, et en fonction de nos usages et de notre compréhension d’Internet, nous sert ou nous dessert. Notre réalité humaine, culturelle, sociale, professionnelle, devient une réalité augmentée par ce dédoublement numérique plus ou moins bien géré. Olivier Le Deuff nous recommande donc d’être les propres acteurs de cette construction identitaire permanente, faite de tags, de liens, bref, de traces, qu’il ne faut ni déléguer, ni délaisser, au risque d’en perdre la maîtrise. C’est la nécessité d’une culture informationnelle et d’une « méfiance cordiale » à l’égard d’Internet (voir également les textes d’Alexandre Serres sur l’évaluation de l’information, par exemple ici) qui me semble ici soulignée.

Dans l’article de Xavier de la Porte sur Internet Actu, « Les smartphones ont-ils tué l’ennui ? », ce qui est mis en avant, ce n’est plus la gestion des données personnelles et le référencement sur Internet, mais la fréquence d’utilisation des outils. On passe de l’économie de l’information à l’économie de l’attention. Il s’appuie sur un article de Doug Cross sur CNN, qui étudie la manière dont les personnes « gère » l’ennui et l’attente, chez le médecin, à la caisse d’un cinéma, dans les transports en commun, avec des gestes qui deviennent des automatismes. Ils consultent leurs mails, envoient des textos, lancent leurs applications – jeux, météo, trafic routier, restaurants et bars « Around me », presse – bref, ont les yeux rivés sur leurs écrans et s’abstraient de leur environnement proche.

Ce n’est pourtant pas abolir l’ennui que s’enfermer dans une bulle, comme toutes celles que l’on voit autour de ceux qui prennent le métro, ceux qui secouent la tête en cadence de la musique qu’ils ont sur les oreilles, ceux qui offrent à la cantonade une conversation téléphonique sensée être privée ou ceux qui s’interpellent d’un bout à l’autre de la rame… J’y participe moi-même à grands renforts de smartphone, liseuse, Ipod, etc. Mais je ne prends pas ça pour une perte d’ennui. Lorsque l’on navigue sur Internet, on peut certes se lancer dans des explorations de lien en lien (butinage) mais, en ce qui me concerne, j’en reviens toujours, aussi bien dans le cadre professionnel que dans le cadre privé, à la même dizaine de sites dont je surveille avec anxiété les mises à jour. Ma fréquentation de ces quelques sites est assez addictive et elle me rappelle cet homme incarné par Michel Serrault dans Nelly et Monsieur Arnaud, résolu à se séparer de sa bibliothèque, parce qu’à un certain âge, on ne relit plus que « les deux ou trois mêmes bouquins ».

Alors oui, on s’ennuie sur Internet, et on choisit même de s’y ennuyer volontairement, d’assumer cet ennui, même si l’on se donne l’impression d’être au beau milieu d’un rêve éveillé, rêvé par des millions d’êtres autour de soi, noyés et somnambules, mais qu’on ne partage avec personne  (sauf sur les réseaux sociaux), et qui reste individuel et isolé.