Lorsque j’ai posté mon article sur Sean Connery, une amie me faisait remarquer qu’elle ne pourrait pas le commenter sans produire autre chose que des sons inarticulés. Elle ajoutait : « L’une des principales raisons pour lesquelles on apprécie ces gens-là est leur remarquable diction, et pourtant on est incapables d’en parler autrement que par borborygmes »

Elle évoquait, par ce comportement, l’un des modes d’expression du « fan », les autres modes étant généralement la bouche grande ouverte, l’air hébété et le regard oscillant entre ahurissement et dévotion.

A la suite de cette conversation, j’ai voulu développer ces quelques idées, tout d’abord en étudiant les différentes figures du fan :

  1. Le fan de base : c’est l’attitude la plus commune et la plus restreinte. Celle que l’on constate au quotidien : il se contente de voir la « matière première », les films de l’acteur ou du réalisateur concerné, les livres de l’auteur de son choix, et passe par des sentiments qui vont du bonheur des retrouvailles à la perte du son (fixité du regard, phrases exclamatives le plus souvent nominales, mutisme admiratif). Les yeux lui débordent de la tête, comme ceux du loup de Tex Avery.
  2. Le fan dévoué et / ou érudit : c’est celui qui « étend le domaine de l’admiration ». Le fan documenté. Il compulse les articles, lit des ouvrages, rend hommage. Dans La Nuit américaine, le metteur en scène Ferrand se fait livrer toute une série de livres sur ses cinéastes de référence : Hitchcock, Hawks, Godard, Bergman, etc. Dans ce film hommage au cinéma, François Truffaut évoque tous ceux qui l’inspirent et dont il admire le travail. On y retrouve de nombreuses figures de « fans » : le petit garçon qui vole des affiches, l’acteur qui fréquente assidûment les salles de cinéma, l’accessoiriste qui cite des répliques… Ce type de fan fonctionne également par associations d’idées : une situation de la vie quotidienne, une conversation, les personnes qu’il rencontre, vont immanquablement lui rappeler les choses qu’il admire. Désormais cette attitude est complétée par : la fréquentation des sites Internet, le Like sur les pages Facebook, la participation à des groupes, le suivi de l’actualité via moteurs de recherche et réseaux sociaux.
  3. Le fan « atteint » : ce dernier a abdiqué toute pensée critique à l’égard de celui ou celle qu’il admire. Non seulement, il veut tout voir, tout connaître et prend le parti de tout aimer, sans souffrir de contradiction, mais il développe aussi une collectionnite aiguë : matière première et produits dérivés. Affiches, autographes pour les plus chanceux, calendriers, agendas, boîtes, services à thé, etc. Que l’on pousse encore un peu et l’on arrive au fan légèrement dérangé de Bodyguard, qui garde précieusement des « reliques » de Whitney Houston dans son casier.

Si je tente de faire la liste des personnes pour lesquelles mon esprit peut difficilement être objectif, voilà ce que ça pourrait donner, dans une sorte de cocktail improbable : Marcel Proust, Stefan Zweig, Maupassant, Sartre, Françoise Sagan, Simone de Beauvoir, Carlos Ruiz Zafon pour les écrivains ; Harry Potter pour les personnages ; Chaplin, Hitchcock, Truffaut, pour les réalisateurs ; Catherine Frot, Annie Girardot, Romy Schneider, Greta Garbo, Audrey Hepburn, Lauren Bacall pour les actrices ; Sean Connery, Russell Crowe, Alan Rickman, Fabrice Luchini et Humphrey Bogart pour les acteurs. Voilà à quoi ressemble mon panthéon non exhaustif.

Quant à ce que j’admire,  c’est bien souvent une combinaison de différentes choses : le regard, la voix, ce qui transparaît de la personnalité ; le style et l’imaginaire pour les écrivains et les personnages ; l’univers des réalisateurs, leurs choix esthétiques et thématiques, et pour les comédiens, la diction, l’érudition, les personnages incarnés, la posture. Mon admiration n’est pas intrusive, elle ne penche pas vers la collectionnite, elle se contente de quelques livres, photos ou affiches et de la « matière première ». Mais il lui arrive de vagabonder, d’imaginer ce que je veux bien croire de leurs vie à tous, de les considérer comme des modèles et de rêver d’une rencontre sans pour autant chercher à la provoquer.