Mardi soir, à la télévision, je suis tombée par hasard sur un film que j’ai immédiatement trouvé intéressant du point de vue du traitement de l’information. Il s’agit du film Angles d’attaque (Vantage Point) sorti en 2008 :

Thomas Barnes et Kent Taylor sont deux agents secrets chargés d’assurer la protection du Président Ashton lors d’une conférence au sommet sur le terrorisme en Espagne. Peu après son arrivée, le président est victime d’une tentative d’assassinat. Dans la foule, un touriste américain a filmé toute la scène. Rex, reporter pour une chaîne de TV américaine, a elle aussi été le témoin privilégié des 15 minutes avant et après le coup de feu. C’est en suivant la reconstitution de ces moments vécus par ces 4 personnages que la terrible vérité qui se cache derrière cet attentat nous sera révélée.

Si l’on ne considère que l’histoire et les très (trop) nombreuses scènes de poursuite, ce film n’est pas le comble de l’originalité : le clivage gentils américains / méchants terroristes est ressassé et matraqué. Par contre, du point de vue de la forme, c’est superbe, et cela pourrait très bien servir dans une séance avec des élèves.

En effet, la plus grande partie du film répète le même quart d’heure, en changeant simplement de point de vue. Le spectateur revoie donc la même scène à quatre, cinq, six reprises : la foule massée dans un lieu où va se dérouler l’évènement, l’arrivée d’un cortège officiel, l’attentat contre le président, l’explosion d’une bombe sous l’estrade.

Ce qui change à chaque fois, c’est le témoin de la scène. Et ce qui rend ce détail encore plus intéressant sur le plan informationnel, c’est que chaque témoin constitue un aspect très précis de l’information :

  • l’information journalistique, avec les caméras, le présentateur, la régie, les différents plans (sur les personnages, le monument, la foule, les fenêtres, le cortège) et le choix de ces plans, les points de vue qui se heurtent, les interventions des reporters. Cette scène montre comment l’on construit l’information donnée au public ;
  • l’information « officielle », celle que donnent les chefs d’état et leur entourage, ce qu’on pourrait désigner sous le terme de « représentation », et qui n’est pas toujours fidèle à la réalité, mais qui se caractérise par une volonté quasi absolue de maîtrise ;
  • enfin, l’information « amateur », celle qui est capturée par le « touriste », le citoyen lambda, qui assiste à la scène et qui va hésiter entre les deux premières formes, et son instinct personnel de l’évènement.

Pour moi, il est toujours captivant de voir de quelle manière on traite une information et on se l’approprie. C’est aussi pour cela que Fenêtre sur cour (Rear window) est l’un de mes Hitchcock préférés : non seulement la première scène nous fait comprendre, sans aucun dialogue, qui est le personnage principal et pourquoi il se trouve dans une situation donnée, mais aussi parce que l’on passe la majeure partie du film à se demander quelle différence il y a entre l’information de ce qui est vu par la fenêtre et la réalité. Que puis-je imaginer lorsque j’observe une scène, un individu, un objet, qui ressorte du monde réel ou de l’invention ?

Alfred Hitchcock, James Stewart, Grace Kelly

Un collègue très inspiré, pour donner aux élèves une idée de ce qu’on appelle la « collecte de l’information », leur projette la scène de rencontre de Sherlock Holmes et de Watson dans la série Sherlock :

Sherlock Holmes: When I met you for the first time yesterday, I said « Afghanistan or Iraq? » You looked surprised.

John Watson: Yes. How did you know?

Sherlock Holmes: I didn’t know, I saw. [flashback begins] Your haircut, the way you hold yourself, says military. But your conversation as you entered the room — said trained at Bart’s, so army doctor. Obvious. Your face is tanned, but no tan above the wrists — you’ve been abroad but not sunbathing. The limp’s really bad when you walk, but you don’t ask for a chair when you stand, like you’ve forgotten about it, so it’s at least partly psychosomatic. That says the original circumstances of the injury were probably traumatic — wounded in action, then. Wounded in action, suntan — Afghanistan or Iraq.

John Watson: You said I had a therapist.

Sherlock Holmes: You’ve got a psychosomatic limp. Of course you’ve got a therapist. Then there’s your brother. Your phone — it’s expensive, email enabled, MP3 player. But you’re looking for a flat-share, you wouldn’t waste money on this. It’s a gift, then. Scratches — not one, many over time. It’s been in the same pocket as keys and coins. The man sitting next to me wouldn’t treat his one luxury item like this, so it’s had a previous owner. The next bit’s easy, you know it already…

Dans cette scène, qui ne s’arrête pas à la citation que j’en donne, Sherlock Holmes explique à Watson comment il a tout deviné de sa vie et de son passé, en se fondant uniquement sur des détails visuels.

Chacun des exemples de films et de série télévisée donne une approche différente de l’information : Angles d’attaque nous fait passer tour à tour dans la position de celui qui crée l’information et de celui qui y assiste ; Fenêtre sur cour teste notre regard critique en nous faisant osciller constamment entre une information réelle et une information soupçonnée, fantasmée ; enfin, Sherlock nous invite à être acteur de l’information.

Tout comme le personnage du touriste dans Angle d’attaque, Sherlock met l’accent sur les méthodes actuelles de recherche et d’analyse d’information, où le spectateur devient créateur et producteur. De passif, il devient actif. Et d’ailleurs, les formes « officielles » (police, état, etc.) et « journalistiques » de l’information sont dépassées, elles n’ont plus la réactivité de celui qui est le témoin direct ou indirect de la scène, l’amateur ou l’internaute. C’est lui qui fabrique l’information, qui la choisit, qui agit. Rendu autonome et omniprésent, c’est son regard qui devient essentiel.